jeudi 23 février 2012

Tahrir square de Stefano Savona, le contrepoint positif




Tahrir Square a attiré pas mal de spectateurs mercredi dernier, et ravi ceux qui sont restés pour le débat. Et pour cause. Il te fait vivre l'événement comme si tu y étais et tu oublies, même quand tu le sais, qu'il est construit, que les images sont sélectionnées, que le réalisateur a fait des choix précis quant aux personnages principaux, au cadrage, au montage etc..;. Il n'est pas facile de ne pas se laisser déborder par l'événement, de résister à l'effet confondant de l'émotion qu'il dégage. Il faut dire que Savona n'est pas à son premier coup d'essai, ni qu'il ignore la région. Avant de venir au cinéma ( il a d'abord fait des études d'archéologie) il a parcouru la région participant à des fouilles qui l'avaient conduit du Soudan à La Turquie en passant par Israel...Ensuite, quand, abandonnant sa spécialité de départ, il s'est consacré à la photo et au cinéma, son intérêt s'est porté sur les grands foyers de tension qui agitent le Moyen Orient comme le kurdistan ou la Palestine. Et toujours à des moments d'explosion, après la chute de Saddam Hussein (Primavera in Kurdistan, 2006), lors de l'agression israélienne à Gaza.(Piombo fuso, 2009)
Ainsi, quand il a appris que le peuple du Caire est descendu sur la place Tahrir pour déloger Moubarak, il a tout bonnement pris la décision d'y être, et de ne pas quitter les manifestants avant qu'ils n'obtiennent satisfaction. La première qualité du film est qu'il s'est donné comme fin celle du mouvement. La chute de Moubarak. C'est cette coïncidence choisie entre le travail du cinéaste et l'implication de l'homme qui impressionne. Comment pouvait-il savoir (nombreux disaient que La Tunise n'était pas l'Egypte et que Moubarak n'était pas Ben Ali) que c'était inéluctable ? Quelle que fût sa sympathie pour les sit-inneurs (et elle était grande) il n'en avait aucune idée. C'est quand on pense à cette incertitude qu'on mesure l'importance du travail accompli car la connaissance préalable de la fin est, nous dit-on, une condition de réussite du récit. Et bien tout se passe comme si Stefano Savona connaissait déjà l'issue de l'aventure révolutionnaire. C'est dire le travail de montage. Mais pas seulement.
Ensuite, le choix des deux personnages principaux est décisif ; La jeune fille est exceptionnelle. On ne sait pas comment elle est dans la vie, mais on a du mal à la voir différente de l'image qu'il nous a donnée d'elle. Affable, réservée, intelligente, décidée, ouverte. On n'a pas envie de la quitter mais justement elle n'est pas toujours là et ce dosage ne fait qu'ajouter à sa sympathie. Idem pour le jeune homme : quand il revient blessé, titubant, nous ne savons pas exactement comment le fait a eu lieu mais on l'imagine aisément. Autour d'eux, gravitent d'autres jeunes, pas toujours les mêmes qui sont là pour discuter des événements, de la nature de l'Etat, de la personnalité du président, de la constitution future, des frères musulmans etc...
Enfin, c'est précisément le mode d'articulation de ces visages familiers avec les scènes collectives qui crée l'équilibre de l'ensemble. Au début du film, la caméra est braquée sur le visage de Noha, pensive, alors qu'on entend les cris de la foule scandant « le peuple veut la chute du régime ». La vox populi accompagne paradoxalement un visage taciturne et passe par là ; ce contrepoint renforce l'empathie du réalisateur pour ce qui se passe devant ses yeux. Le décalage atténue certes l'effet de la clameur populaire puisqu'elle arrive en voix off et qu'elle est absorbée par l'expression rentrée de Noha. Sauf que celle-ci n'est pas contre-révolutionnaire, loin s'en faut ; elle se chargera en fait de déployer cette énergie à mesure que le film avance. Toute l'oeuvre est gouvernée par cette logique du contrepoint positif. Lorsqu'on voit les hommes prier, dans le même plan le cinéaste aménage un espace pour des manifestants en train de faire autre chose ; nombreux sont les plans de ce type.
Le résultat est que nous avons de ce qui se passe une perception multiple, diversifiée et aérée. N'oublions pas que tout cela se déroule devant les yeux du cinéaste indépendamment de sa volonté. Le document se présente comme un récit préalablement fabriqué, ce qui n'est pas possible. En réalité, c'est le regard qui compose, il capte le réel non pas en le modifiant mais en dégageant la richesse et la complexité qu'il contient. Pourtant nul commentaire explicite du cinéaste, nul effet discursif, visuel ou sonore. On a l'impression que le cinéaste est absent tant il est discret. C'est peut-être cela qu'on appelle la sympathie.
Une sympathie intelligente : en témoigne la fin du film qui n'est pas exactement celle de l'événement : la chute de Moubarek et l'euphorie qui s'ensuit. Après le générique arrive une discussion où une jeune fille excitée étale de façon ostentatoire son scepticisme quant à l'après Moubarek. et s'il revenait ? et le conseil militaire, comment peut-on lui faire confiance ? La suite des événements semble lui donner raison.

Au cous du débat tout cela et bien d'autres choses ont été évoquées qui n'ont pas épusé, malgré l'intelligence des interventions, la valeur d'un film qui demeurera l'un des plus importants sur les révolutions arabes.

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