samedi 18 février 2012

"Ceci n'est pas un film" au ciné-club, merci les amis !



Les activités du ciné-club Africart ont repris le 18 janvier au centre Elissa, dans l'une ou l'autre des deux salles. Cette reprise a eu lieu à l'occasion de la sortie du dernier film de Jilani Saadi, « Winou baba ? (Où est mon papa ?) Il était alors tout naturel de consacrer les trois premières séances hebdomadaires au réalisateur de « Khorma ». L'occasion fut ainsi donnée au public de voir ou de revoir ses trois longs métrages que nous avons programmés dans l'ordre de leur production soit successivement Khorma, la tendresse du loup et Où est papa ?, le ciné-club Cinéfils de Mad'art à Carthage ayant choisi de suivre l'ordre inverse. De mercredi en mercredi, le nombre des spectateurs a augmenté. La faiblesse de l'affluence aux deux premiers rendez-vous s'explique sans doute par le fait que les deux premiers films sont déjà connus, mais peut-être faudrait-il voir dans cette relative augmentation des entrées le retour progressif des fidèles du ciné-club. En tout cas, mercredi dernier le 15 février, autour de quatre vingt personnes sont venues voir « Ceci n'est pas un film » de Jaafar Panahi..Film pourtant « difficile » et dont on ne peut pas dire qu'il a drainé les foules depuis sa sortie. Ils étaient donc quatre-vingt mais c'étaient des visages connus, des cinéphiles pour la plupart. Motif supplémentaire de fiérté, la plupart d'entre eux sont restés pour le débat. Et y ont participé.
J'avais vu le film à Cannes et j'en étais ravi. De le revoir ici à Tunis et, qui plus est, dans le cadre du ciné-club, a ajouté à mon ravissement. Contrairement à mes appréhensions le débat a été au niveau de l'événement. Car c'en fut un. La frustration qu'on peut avoir est qu'il n'ait pas été vu ailleurs à l'intérieur du pays. Plus d'une année après la Révolution on mesure davantage l'intérêt qu'aurait représenté sa circulation à une échelle plus large.
Il est vrai aussi que le débat a failli prendre une tournure un peu courte. Etait-ce évitable? La capacité de Panahi de contourner la contrainte a tout de suite fait penser à tous les films dont le coût élevé n'a pas empêché leur médiocrité. La comparaison a naturellement porté sur les films tunisiens. La réaction était attendue mais très vite les interventions se sont élevées à un autre niveau pour se recentrer sur l'oeuvre elle-même. Comment peut-on atteindre ce degré d'intelligence, de finesse et d'art quand on est réduit à de telles restrictions, une condamnation à six ans de prison, à vingt ans d'interdiction de filmer et de donner des interviews ? Il était évident pour tous, dès la fin de la projection, qu'il y avait quelque chose d'exceptionnel dans cet objet étrange auquel personne n'a dénié la qualité de film admettant, du coup, le caractère ironique du titre. Mais comment le prouver ?. D'où vient en effet cette évidence qu'on est en face d'une oeuvre d'art ? C'est cette question qui a excité mon esprit face aux commentaires des amis du ciné-club. Peut-etre tout simplement, me dis-je maintenant en faisant écho à ce beau débat, que la création artistique ne dépend pas de la quantité des moyens dont on dispose. L'exiguité de l'espace auquel était réduit le cinéaste ne l'a pas empêché de le transformer en plusieurs lieux de tournage. La chambre, le salon, la cuisine, l'entrée, le couloir, etc...Si l'action est impossible, le récit ne l'est pas. La question que se pose en permanence Panahi est simple mais essentielle : comment faire du cinéma quand vous vous en trouvez empêché ; la dramaturgie de « ceci n'est pas un film » est une série de réponses à cette question : d'abord témoigner de l'injustice en s'enquérant auprès de son avocate des nouvelles de de la décision du tribunal d'appel, vaquer à ses occupations ordinaires, prendre son petit déjeuner, s'occuper de Igi l'iguane de son fils, lire le scénario du film refusé, dessiner sur le tapis du salon le décor, jouer soi-même la jeune fille qui doit tenir le rôle principal, revenir sur certaines scènes de ses anciens films, en revoir des extraits, les commenter, se rendre compte que ce n'est toujours pas un film, laisser venir de l'extérieur le son de la ville (comment restreindre le champ sonore ?), accepter de garder le chien de la voisine, non il dérangerait Igi, laisser partir son ami documentariste Mojtaba Mirtahmasb venu le filmer (il ne sait rien à la technique dit-il et puis il est interdit de filmer), ouvrir la porte au beau frère du concierge venu ramasser la poubelle, et pourquoi pas l'accompagner dans l'assensceur avec la caméra (un personnage de fortune qui donne tout d'un coup un brin de fiction au film), descendre avec lui en s'arrêtant à chaque étage (le ramassage de la poubelle règlant le tempo, quelle idée !) pour enfin mettre juste le nez de la caméra légèrement dehors et voler les images des jeunes s'amusant autour du feu. Non ce n'est pas la révolution (on pourrait le croire), il s'agit de la fête du feu et ce qu'on a entendu ce ne sont pas des coups de canon (ç'aurait pu l'être) mais le bruit du feu d'artifice. En laissant « la caméra allumée » comme il le dit lui-même on finit toujours par réaliser un film à partir de ce qui n'est pas sensé l'être. La force de l'obstination, le désir d'expression, et le talent et le talent...

Par ailleurs, on peut regretter que le film ait fait si peu d'entrées. Il y a eu au moins le ciné-club. Merci les amis !

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