dimanche 14 juin 2015

FESTIVAL DE CANNES 4 : Notes éparses




au gré des pays et des continents



Combien de fois n'a-t-on pas entendu les cinéastes de tel ou tel pays se plaindre de l'ostracisme exercé par le Festival de Cannes à leur encontre. Plus ceux de chez nous, il faut dire. Névrose post-coloniale ? Ou justes récriminations ? N'est-ce pas plus facile d'imputer le rejet d'une candidature à des programmateurs méprisants et ignorants plutôt qu'à la faible qualité du film proposé, faiblesse toujours difficile à reconnaître ? Mais alors, il faudrait admettre que tous les films sélectionnés dans toutes les sections (Compétition officielle, hors-compétition, soirée spéciale, Un certain regard, La Quinzaine des Réalisateurs, La Semaine de la Critique, l'Acid) sont supérieurs à ceux produits l'année concernée par l'ensemble du continent africain et tous les pays arabes. Mais que représente quantitativement cette production pour que « l'injustice » soit entendue ? Cent films, cent cinquante ? Si la centaine programmée chaque année à Cannes ne représente qu'une infime proportion dans la production globale de la planète, on peut alors considérer le nombre choisi de films africains comme n'étant pas si infamant qu'on le prétend. Bref, le débat peut se poursuivre à l'infini et on ne réfutera pas d'un trait le grief d'un favoritisme géopolitique si on décide que la proportion de bons films africains est ou peut être plus grande que la moyenne mondiale : se surestimer à sa juste valeur aide à rejeter une injustice supposée. Bon tout cela n'empêche pas qu'aucun ressentiment ne résiste au désir d'obtenir une place à Cannes ( le pathétique va parfois jusqu'au fait de considérer la présence d'un court-métrage dans le short film corner comme un label à exhiber comme s'il y avait là un quelconque mérite autre celui de payer les frais d'inscription requis pour y prendre part).





Sembène donc et Cissé…



On était curieux de découvrir le dernier Souleymane Cissé. Notre maison, programmé en séance spéciale n'est presque pas « un film » cisséen tant y manque le sens de l’ouvrage auquel nous a habitué le doyen des cinéastes africains. Un cri contre l'injustice et la corruption au Mali. Rien de bien remarquable au-delà d'une affaire familiale, placée au coeur du film : les quatre sœurs du cinéaste se trouvent expropriées de la maison ancestrale à la suite d'une obscure querelle de terrain entre différentes tribus. Inutile de chercher la grâce de Yeelen (prix du jury à Cannes en 87), à l'exception de quelques moments du début, où Cissé revient sur son enfance. L'occasion de dénoncer un système de gouvernement (Cissé ne s'est jamais départi de son esprit critique vis à vis du pouvoir), et de terminer le film sur une évocation impromptue, étrangement plaquée, des menaces terroristes.

A côté de Notre maison, arrive à Cannes un film éthiopien, tout aussi attendu pour des raisons opposées, car il est le premier de son auteur, et le premier d’Ethiopie à figurer ainsi en sélection officielle à Cannes. Sélectionné en Cinéfondation en 2013, Lamb de Yared Zeleke a été programmé in extremis dans Un certain regard. Inspirée de la vie du réalisateur, l'histoire tourne autour de l'attachement d'un petit garçon pour sa brebis. Très joliment photographié par Josée Deshaies, la chef opératrice de Bertrand Bonello, Lamb déroule des paysages magnifiques qui auraient enfermé le film dans une beauté pittoresque, voire exotique (comme l'ont fait remarquer certains critiques, fort injustement à mon avis) s'il n'y avait pas cette histoire non dépourvue de finesse, de déplacement, de manque et de transfert. L'enfant a été envoyé par son père chez son oncle, loin des terres frappées par la sécheresse, accompagné de sa seule brebis, à laquelle il voue une affection sans limite.

La simplicité de la facture trompe et rend parfois difficile la perception de l'intelligence de l'oeuvre.

Quoi d'autre ? Rien sauf (une manière de pallier le manque ?) la présence de Abderrahmane Sissako à la tête du jury de la Cinéfondation et du court métrage. C'est tout ! Ah pardon et la projection dans la section Cannes classics d'une copie restaurée de La Noire de… de Sembene Ousmane précédée d'un documentaire signé par Samba Gadjigo et Jason Silverman...




Sinistrose transalpine



On peut donc polémiquer sur l’absence de l’Afrique. Et si nous étions italiens ? Ce qui est vrai pour le continent noir ne le serait-il pas pour un pays ?

Prenons donc l'Italie : pendant longtemps absente de Cannes, celle-ci revient progressivement sur la Croisette. On compte trois films en compétition officielle : Mia Madre de Nanni Moretti, il racconto dei racconti de Matteo Garrone et Youth de Paolo Sorrentino. La nature de ces trois films, leur différence, et la façon dont ils ont été reçus en Itlalie en disent long sur l'état du cinéma italien. Aucun ne manque de « rappeler » d'une manière ou d'une autre (et c’est justement la différence de ces manières qui importe) la grand tradition du cinéma italien. Il y a dans Mia Madre quelque chose qui tient à la fois de Huit et demi et de la comédie sociale des années 70. Mais ces échos sont trop subtils, comme souvent, chez Moretti (sauf peut-être dans Caro diaro où les références à Rossellini et surtout à Pasolini sont plus explicites). Aux échappées oniriques qui enveloppent le film de Fellini, Moretti aurait substitué une dimension sociale plus affirmée, ramenant le film au contexte récessif à l'opposé exact de celui glorieux dans lequel Féllini avait réalisé Huit et demi. Comme toujours chez Moretti, ces rappels sont plus l'oeuvre du spectateur qui se remémore que du cinéaste qui singe ses prédécesseurs. Ce qui n'est absolument pas le cas de Sorrentino dont Youth est boursouflé de tics (surenchère de délires cyniques entre un cinéaste et un chef d'orchestre dans un établissement thermal, souffrant de prostate et de ratages sexuels passés) dont la plupart ne sont que de mauvais clins d’oeil au beau cinéma italien de naguère. Mais ces tics cachent d'autant plus leur origine (on peut penser à tout et à rien) que la présomption de la mise en scène est remplie de mauvais goût et de médiocrité. Il racconto dei racconti, beaucoup moins vulgaire, n'escamote pas jusqu'à son titre sa méta texture. Inspiré du Pentamerone de Giambatista Basile, le film croise plusieurs histoires de rois fantasques, de fées, de monstres sanguinaires et des vielles décrépites se transformant allégrement en jeunes et belles princesses. Comment peut-on en effet ne pas penser à Pasolini ou à Bertolucci? Sauf qu'il y a moins de bonheur dans cette filiation que dans celle, plus fine et plus sûre, de Moretti. Le film de Matteo Garrone rappelle, dans un autre registre de comparaison, plusieurs films français qui peinent à dépasser des pères encombrants. Entre ces trois films, c’est, curieusement, Youth dont on a le plus parlé en Italie (mais pas seulement), la presse n’hésitant pas à le donner grand vainqueur de la Compétition. C'est dire l'état de sinistrose dans lequel le septième art est tombé dans le pays de Rossellini.



Quant au cinéma arabe, nous y reviendrons plus tard…



paru dans Attariq Aljadid n° 419 du 13 au 19 juin 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire