vendredi 5 novembre 2010

Shirley Adams de Olivier Hermanus, vu aux JCC


Shirley Adams de Olivier Hermanus

Du cinéma à l'état pur



Il faut le suivre ce garçon. Il s'appelle Olivier Hermanus et n'a que vingt cinq ans. Après des études visuelles à l'Université de Cape Town, poursuivies à California, il obtient une bourse à la London Film School. Il en sort avec Shirley Adams. Le film est en compétition officielle. C'est une oeuvre qui marquera l'histoire du cinéma sud-africain et porte, de toute évidence, la griffe d'un auteur singulier. Le film est portée par une volonté d'expression qu'on rencontre rarement dans le cinéma africain. Non pas maniérée mais réelle, affrontant un thème casse gueule, celui de la violence en Afrique du Sud. Une mère (une impressionnante Denise Newman) est aux prises avec un drame terrible : son fils, Donovan, est atteint, à la fleur de l'âge de tétraplégie. Il y a dix mois il a été atteint d'une balle perdue, du fait d'une connerie commise par une bande du quartier. On n'en saura pas plus. Le père a quitté la maison, il y a trois mois ; on ne sait pas pourquoi ni où il est parti mais on devine que ce n'est pas sans rapport avec cette histoire. Shirley a dû quitter son travail pour s'occuper de son fils. A part l'arrivée d'une étudiante venue donner un coup de main à la mère, les quelques apparitions de la voisine Philda Jacobs, et les courses rapidement faites en ville, nous sommes la plupart du temps à l'intérieur avec Shirley et Donovan. Parti pris périlleux s'agissant d'une situation si lourdement dramatique. Le fils est totalement paralysé et sa mère s'occupe de tout : de l'habiller, de le nourrir, de le laver, de le coucher, de le redresser, de l'asseoir. Et surtout d'éviter, mais désespérément, de le laisser se livrer à la seule chose qui l'obsède : mettre fin à sa vie. Comment filmer une telle souffrance sans tomber dans le vil et facile commerce des sentiments ? Comment rendre compte de l'ampleur du drame, conséquence d'une violence dont on parle beaucoup et n'importe comment, et le communiquer au spectateur sans le culpabiliser ? Le jeune cinéaste a choisi à la fois la proximité et la pudeur. Une gageure. Shirley est filmée par une caméra la plupart du temps portée, presque toujours de profil ou de derrière, très rarement de face. Et quand elle est de face -ce qui est rare- la lumière sera dosée à la mesure de la décence. Jamais photo (Olivier Hermanus a été à un moment photographe de presse) n'a été aussi morale. C'est comme s'il y avait toujours un cache qui nous voile une partie du champ. Que reste-t-il donc ? Et bien l'essentiel, les gestes de tous les jours, les mouvements du corps de cette femme, les menus bruits qui l'entourent, tous les détails de l'extraordinaire énergie qu'elle déploie. Des sensations pures. Du cinéma quoi. C'est donc tout naturel que, apprenant que l'auteur du tir n'est autre que Jeremy, le copain de Donovan, venu tout récemment encore s'enquérir de l'état de santé de son ami, Jeremy le fils de Philda, c'est donc naturel que Shirley rende visite à celle-ci, dans un geste de pardon qui ne dit pas son nom, comme pour retrouver une soeur de souffrance. On ne voit pas comment un tel film ne figurerait pas au palmares.
Tahar Chikhaoui
Article publié dans Le Quotidien, le 30 oct 2010

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