dimanche 7 novembre 2010

Fix me de Raed Adouni, vu aux JCC




A vue de chameau


Une nouvelle figure vient s'ajouter, comme une évidence, au paysage cinématographique palestinien, une nouvelle figure au sens propre comme au sens figuré, avec laquelle il faudra désormais compter. Elle a pour nom Raed Adouni. Son film, franco-palestino-suisse, est produit par la comédienne Julie Gayet. Montré au festival de Sundance, présenté cette année à Cannes dans la sélection ACID, Fix me voyagera, on peut le parier, encore beaucoup à travers le monde et marquera les esprits. Il est en compétition officielle section documentaire. Il aurait figuré dans la compétition des films de fiction qu'on n'aurait pas été étonné, tant il est difficile de classer l'oeuvre. Tiens, c'est d'ailleurs l'obsession essentielle de Fix me. « je ne veux pas qu'on m'enferme dans une case » répète inlassablement Raed Adouni en personne et, justement, en personnage principal du film. Il prendra place, ai-je dit, dans le paysage cinématographique palestinien. Ce sera devrait-on ajouter juste à côté de Elia Suleiman. Décalé et ironique, le film est un autoportrait où se saisit mal la frontière entre le sérieux et le jeu. Raed Adouni se filme dans différentes séances de psychothérapie dans la salle de consultation du centre médical du croissant rouge à Ramallah. Il souffre de migraine depuis plus de deux ans. C'est le sujet du film et sa motivation. Quand il annonce à sa mère qu'il vient faire un film, celle-ci lui demande tout naturellement sur quoi il porterait. « Sur ma migraine » lui dit-il ; mais en quoi ta migraine intéresse-t-elle les autres lui répond-elle ? Tout le monde en souffre. Il ne se justifie pas outre mesure. N'empêche, c'est de cela qu'il parle. Les discussions avec le psy, succulentes, sont filmées selon un dispositif d'une implacable efficacité cinématographique. L'échange toujours drôle se déroule sur fond de Ramallah, visible à travers la large baie vitrée. Inscrite sur un tel arrière-fond, la singularité de la parole acquiert naturellement des résonances politiques d'autant plus fortes que le réalisateur ne s'obstine ni à appuyer ni d'ailleurs à réfuter le contexte ambiant. La réalité est là, celle de l'occupation, entière. Les séances avec le psy s'ouvrent épisodiquement sur des scènes en famille, avec les amis, dans la voiture, toutes portées par une interrogation sur soi, sur la place à trouver dans une réalité d'autant plus compliquée que la mémoire du personnage n'est pas d'un grand secours. Raed Adouni a été littéralement frappé à la tête en prison (un souvenir parmi d'autres évoqué comme ça, au passage, mine de rien) mais cette amnésie est structurante... A aucun moment l'omniprésence du réalisateur ne dérange, elle crée paradoxalement une distance éclairante. Jamais migraine n'a été aussi importante dans le cinéma arabe. Pourtant s'il y a une expression qu'on ne devrait pas employer à propos de ce film c'est bien « une prise de tête ». Les discussions avec la mère, le cousin anarchiste, Ghassan l'ancien compagnon de cellule devenu taximan depuis, sont autant d'échos, des retours d'images de soi, des inflexions variables et agréables, sonores et visuelles, de la douleur. Le comble c'est le chameau au regard duquel, en mal de repères, le réalisateur compare le sien. Un délice, ce film.
Tahar Chikhaoui
Publié dans Le Quotidien du 06 novembre 2010

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