jeudi 22 mars 2012

Cinéma arabe au festival de Milan : acte II



Il ne fait pas de doute que le cinéma arabe est aujourd'hui plus ancré dans la réalité sociale qu’il n’était auparavant. Plus « documenté » et plus documentaire. Ce changement est dû à la fois aux changements que connaît cette région du monde qu’à ceux de l’outil cinématographique devenu plus léger et plus accessible. Ce panorama proposé par le festival en offre un échantillon représentatif. Des villes emblématiques comme Tanger (Sur la planche), Tétouan (mort à vendre), Alger (Demain Alger ?), Alexandrie (Al Shooq), Tunis (Rouge parole), le Caire (Tahrir Square) , une jeunesse paumée, écrasée ou dévoyée par une situation sociale insupportable (Mort à vendre, sur la planche, al Shooq) qui cherche à partir à la recherche d’un ailleurs au-delà des mers (Demain Alger ?) ou qui est déjà partie, et déjà perdue (nostri migliori anni), ou plongée dans une effervescence révolutionnaire, prête à tout, lancée dans l’action politique dans l’espoir de changer enfin un réel intolérable (Rouge parole, Tahrir Square). Le cinéma arabe ne connaît pas le développement et l’expansion que connaît son homologue dans d’autres pays voisins ou similaires comme La Turquie ou la Corée (même s’il ne faut pas négliger l’essor du cinéma marocain de ces dernières années grâce à une politique volontariste considérée aujourd’hui comme un exemple pour les pays voisins) mais la petite production qu’on découvre de temps en temps grâce à des festivals comme celui de Milan, représente une véritable fenêtre ouverte sur une réalité sociale et politique extrêmement mouvante. Un intérêt presque obsessionnel pour des catégories sociales marginalisées. Leila Kilane en a fait à la fois le thème central de son film et son mode d’expression (le dialecte, le dynamisme), sa matière et sa manière. Faouzi Bensaidi, depuis déjà le début très attentif à ce qui se passe en marge de sa société, va encore plus loin dans la radioscopie de cette partie de la population. Khaled Haggar analyse à son tour les motivations sociologiques profonde des dérives comportementales auxquelles peuvent céder des personnages ayant perdu tout espoir. Il n’est pas indifférents que la plupart de ces films ont pour personnages principaux des femmes ; de ce point de vue Sur la planche est extrêmement emblématique. Il s’agit de femmes, jeunes et de milieu populaire. Le caractère collectif est également remarquable que ce soit chez Bensaidi, Haggar ou Kilani et même dans les documentaires Tahrir Square et Nostri anni migliori. C’est dire l’importance du phénomère social : que la trajectoire dramatique soit portée par plus d’un personnage traduit le désir de rendre compte d’une intense effervescence sociale. La marque forte de cette dynamique socio-politique c’est évidemment les révolutions récentes. On trouvera donc dans les films choisis la question (elle apparaît naturellement dans la fiction) et la réponse ( qui apparaît dans le documentaire). Il est drôle de voir comment ces films se répondent Nostri migliori anni est une réplique (documentaire) à Demain Alger ? (fiction). Le jeune algérois qui s’apprête à partir, on peut d’une certaine manière le retrouver parmi les jeunes Tunisiens qui expliquent les raisons de leur départ. Les jeunes filles de Sur la planche et les jeunes garçons de Mort à vendre, on peut imaginer les retrouver dans une réaction politique dans ceux que mettent en scène Tahrir Square ou Rouge parole.

Cette représentativité du cinéma arabe nettement perceptible dans cette sélection tient aussi, il ne faut jamais l’oublier, à la qualité des œuvres chosies et du talent de leurs auteurs. Faouzi Bensaidi est le porte-drapeau du renouveau du cinéma marocain. Il n’a pas seulement capté des choses importantes du Maroc d’après Hassen II, il a ouvert la voie à une nouvelle écriture cinématographique faite d’une grande sensibilité, d’une cinéphilie assimilée et d’une acuité du regard. Leila Kilani peut être considérée aujourd’hui comme l’une des plus brillantes cinéastes femmes dans le monde arabe. Quant à Khaled Haggar, il a fait ses preuves dès ses premiers coups d’essai : humour, brio, engagement. Lyes Baccar opère une investigation singulière dans le cinéma tunisien ; le jeune Sidi Boumediène fait partie de cette pléiade de jeunes cinéastes porteur d’une énergie, d’un talent et d’un désir de cinéma qui fera davantage parler d’eux lorqu’on les aura mieux connu. Quand à Savona il est évidemement italien mais quand on voit son Tahrir Square, cette distinction s’efface La véritable identité d'un cinéaste est celle de son regard. Celle de Savona est, dans ce film, entièrement égyptienne.

Publié dans le catalogue du 22 ème Festival du cinéma africain, d'Asie et d'Amérique latine, repris dans le quoitidien italien Il Manifesto du 16 mars 20012

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