samedi 4 juin 2011

De retour de Cannes, bilan.



64ème Festival de Cannes
Bilan

1- Présence du cinéma arabe




Vue d'ici, la 64ème session du festival de Cannes aura été l'une des plus accueillantes. La plus prestigieuse manifestation cinématographique du monde a la fâcheuse et tenace réputation d'être altière, indifférente voire méprisante face à tout ce qui vient du Sud. Cette image que sous-tend un noeud de malentendus ( un jour nous y reviendrons) n'a pas trouvé dans cette session sa meilleure confirmation. L'hommage rendu à La Tunisie et à l'Egypte à travers la projection en séances spéciales de 18 jours film collectif et Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh, le Carosse d'or décerné au cinéaste iranien Jafaar Panahi à l'ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, la présence en bonne place (respectivement dans Uun Certain Regard et dans la Quinzaine des Réalisateurs) d'un film marocain et d'un film libanais, les différentes rencontres au pavillon du monde dont deux dédiées à deux personnalités tunisiennes, l'une disparue Tahar Cheriaa désormais icône du cinéma arabe et africain et l'autre vivante Nouri Bouzid, figure de proue du cinéma tunisien, tout cela et bien d'autres choses encore auront cette année démenti un Festival de Cannes qui lorgne obséquieusement du côté américain et, depuis la fin du siècle dernier, regarde avec admiration un Orient trop lointain ne prêtant que rarement attention au monde arabe et africain. Les révolutions tunisienne et égyptienne n'auront pas été pour rien dans cet intérêt soudain. À la différence de la Biennale de Venise qui comme son nom l'indique (Mostra internazionale d'arte di Venezia) affiche ostensiblement son ambition artistiques, Cannes ne cache pas sa dimension culturelle. Ce qui n'est pas sans brouiller les cartes car la visée spécifiquement cinématographique est par ailleurs clairement revendiquée. Depuis la Nouvelle Vague, l'opposition commerce/art n'a plus la pertinence qu'elle avait et qu'elle a encore ici. Un film à grande valeur artistique peut être commericial comme il peut ne pas l'être. Et vice versa. S'il n'est pas toujours facile de discerner ces frontières, il faut dire que les différentes sections du festival (cela est d'ailleurs clairement expliqué dans la documentation officielle ) servent à distribuer les oeuvres selon leur teneur commerciale culturelle ou artistique. Cette année, la présence arabe illustre bien cette hybridité où s'enmêlent art et actualité. Les deux films égyptiens et tunisiens sont l'un et l'autre programmés en séances spéciales et projetés dans la fameuse salle du Soixantième, située d'ailleurs entre le Palais lui-même et le village international. Nadine Labaki avec son Et maintenant où on va ? est cependant invitée dans la prestigieuse section Un Certain Regard ouverte à des oeuvres singulières. Que le film mérite ou non cet honneur, cela est une autre histoire et dépend de l'avis de chacun. Quant à Sur la planche de Leila Kilani, il est accueilli dans la Quinzaine des Réalisateurs, section certes parallèle gérée par la société des réalisateurs mais qui affirme privilègier l'art. Pour ce qui est de la singularité, il nous semble d'ailleurs que l'opus marocain est nettement moins commun que le libanais. Mais sans entrer dans des considérations inhérentes à la question du choix des sélectionneurs, il faut noter que les cas ne sont pas rares des films qu'on aurait vus plus naturellement placés dans telle section que dans telle autre ; il serait difficile et idiot d'imaginer une distribution unanimement acceptée comme juste. Une remarque cependant : si les deux films égyptiens et tunisiens traitent directement de la révolution, les deux autres films arabes sont réalisés par deux femmes. Et traitent l'un et l'autre de la femme, non pas d'une femme mais d'un groupe de femmes. D'un côté, quatre jeunes filles de vingt ans à Tanger, ouvrières de leur état, débordant de vie, sont suivies par un regard (c'est rare dans le cinéma arabe) qui loin de toute condescendance se laisse libérer par l'effet de l'admiration et de l'autre un groupe de femmes musulmanes et chrétiennes inventent, sur les montagnes du Liban, ruses et subterfuges pour détourner leurs abrutis de maris d'une guerre plus que probable. Nous aurons remarqué d'ailleurs que les femmes réunies se retrouvent dans plus d'un film indépendamment de leur nationalité. Le plus étonnant, et sans doute le plus croustillant, est 17 filles, film français inspiré d'un fait divers américain : dix-sept jeunes filles décident de tomber toutes enceintes en même temps, provoquant dans leur entourage surprise et indignation. Le film était dans la Semaine de la Critique. Il est d'ailleurs, signe supplémentaire, réalisé par deux soeurs. Delphine et Muriel Coulin. Autre film mettant en scène des femmes, L'Appolonide, souvenirs de la maison close, le très élégant film de Bertrand Bonello, portrait collectif (on n'aimerait pas y identifier un personnage principal) d'un groupe de prostituées dans une maison close de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle. Mais elles sont le plus souvent arabes, ces femmes réunies. Pour le meilleur et pour le pire. Le pire c'est La Source des femmes, incontestablement le plus mauvais film de la session, farci des préjugés les plus débiles sur la femme arabe, la phrase introductive annonçant que l'histoire se déroule quelque part en Afrique du Nord ou dans la Péninsule arabique. C'est vous dire... Femmes au hammam, femmes voilées, femmes enceintes et malheureuses de l'être, souffrant de l'incompréhension atavique d'une gente masculine dont l'élément le plus éclairé s'avère au fond aussi rétrograde que les autres. Prenant donc pour siège social de leur action militante le hammam en question elles décident, de faire, oui, la grève de l'amour. Consternation générale dans la montagne mais ça marche. Passons... On peut également citer le documentaire sur les danseuses du ventre au Caire, réalisé par les Canadiens Isabelle Lavigne et Stéphane Thibaut, sélectionné à La Quinzaine des Réalisateurs. Ces femmes arabes migrent d'un film à l'autre particulièrement dans le cinéma français. L'une des scènes les plus remarquables de Polisse de Maiwenn, prix du jury, aura été sans conteste celle où une des agents de la brigade de protection des mineurs, d'origine maghrébine interroge un musulman intégriste coupable d'avoir marié sa fille mineure à un gars du bled. Dans une vive confrontation, parlant tout d'un coup en arabe, devant ses collègues éberlués, elle explique au vieux fanatique que le coran ne dit jamais ce qu'il prétend et le lui tend en le défiant d'y trouver un mot justifiant ses actes. Hommage à la révolution, la présence arabe est aussi portée par l'importance grandissante de la question de la femme, le cinéma et la vérité n'étant pas toujours à la hauteur de la supposée aucuité thèmatique.

Paru dans Attariq aljadid no 234 du 4 au 10 juin 2011

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