dimanche 12 juin 2011

De retour de Cannes, bilan 2


64 ème session du festivla de Cannes. Bilan


2- Enfance et paternité

De célèbres gamins ont accompagné les grands tournants de l'histoire du cinéma. Avec Chaplin à la naissance du langage cinématographique, avec De Sica et Rossellini à l'aube de la modernité du cinéma, avec Truffaut à l'avènement des Nouvelles vagues. L'apparition de ces enfants qui a coïncidé à chaque fois avec une renaissance du cinéma a été de moins en moins joyeuse mais de plus en plus porteuse d'espoir et de liberté. Joyeuse, cette fois-ci ? on ne peut pas le dire. De quoi est-elle porteuse ? Il serait prétentieux d'y répondre. En tout cas le premier film qui vient à l'esprit c'est le très beau Le Gamin au vélo des frères Dardenne, grand prix du jury, précisément parce qu'il rappelle le néo-réalisme, en raison notamment - mais pas seulement - de la présence réunie de la bicyclette et de l'enfance. Mais ce garçon-là retrouve son vélo à peine volé contrairement au père de l'autre, soit Antonio Ricci (Le Voleur de bicyclette) qui fera l'expérience existentielle de ce manque. Le gamin des Dardenne c'est la perte du père dont il doit faire le deuil (il lui a clairement signifié qu'il ne voulait plus le voir) alors que Bruno est justement le fils que le père finira par retrouver. Il n'y a qu'à se rappeler la magnifique fin du film de De Sica; le père et le fils collés l'un à l'autre la main dans la main. Comme Bruno, Cyril sortira grandi de l'épreuve mais il grandira sans pater. Même celui qui aurait été son père de substitution, l'amant de Samantha, a vite fait de partir ne pouvant assumer cette paternité encombrante. De plus, bien que Le gamin au vélo ne soit pas moins social, la bicyclette n'est plus un moyen de production mais un moyen de transport, au sens fort du terme, de circulation infinie, étourdissante. Beaucoup de cinéastes se sont fait l'écho de ce transport de Gust Van Sant à Naomi Kawase...
Quant à Daniel le gamin de Toomelah de l'Australien Ivan Sen (sélectionné à Un certain regard), il a presque le même âge que Cyril, deux ans de moins mais exactement celui de Bruno et avec Bruno il partage la marginalité sociale; sauf que la périphérie ici n'est pas celle de Rome mais celle (mondialisée) du Continent (on est en Australie chez les Aborigènes). Double marginalité donc géographique et ethnique. Le père est là sans sans être là, rongé par l'alcool. Ce garçon que ne quitte pas la caméra, génial acteur non professionnel, est délesté de toute paternité, subjugué par la pègre, lancé à corps perdu dans le monde du crime. Aucune lueur d'espoir..Si on est en droit de juger que la Palme d'Or a été bien au-dessus du film auquel elle avait été décernée, il faut bien reconnaître que The Tree of life porte au plus haut la question de l'enfance et de la paternité. La force du film est dans sa folle volonté d'articuler la psychologie à la cosmologie, malheureusement sa faiblesse réside dans la difficulté d'inventer les modalités esthétiques de cette articulation. Le fait est que les termes de la nature et de la grâce puisés dans la tradition biblique (le livre de Job) qur lesquels s'ouvre le film rejoignent les enjeux contemporains de la filiation. On parlait de Gus Van Sant, son enfant est comme toujours un adolescent mais cela importe peu, lui aussi est perdu. Depuis la fin tragique de ses parents dans un accident de la route, il ne fréquente plus que les enterrements et ne pense qu'à mourir. Depuis la disparition de ses géniteurs, il est comme éjecté du cercle de la vie. Sa coexistence avec les morts (étonnante rencontre dans la forêt avec le kamikase japonais tué lors de la deuxième guerre mondiale) rappelle et prolonge ce que Apichatpong weerasethakul a déjà vu dans L'Oncle Boonmee Palme d'Or de la 63ème session de Cannes. Les difficiles rapports père/fils relèvent de l'expérience du trépas voire dee l'apocalypse. Il n'y a pas jusqu'à Footnote de l'Isaélien Joseph Cedar qui n'ait abordé la question mais sur le mode burlesque d'une confrontation pour la notoriété entre docteurs talmudiques. Le résultat cinématographique n'a pas été à la hauteur de l'ampleur de l'intention et de sa pertinence, le prix du scénario ayant récompensé plus l'idée que son traitement dramaturgique. Encore une de ces erreurs de palmares dues, nous semble-t-il, à la confusion de l'idée avec son traitement scénaristique (Footnote) et cinématographique(The tree of life). We need to talk about Kevin, autre film en compétition, s'y est également essayé en s'en tenant résolument au point de vue de la mère. L'impossibilité de transmettre commence dès la naissance. Et se trouve exclue toute hypothèse explicative, rien ne justifie la trajectoire implacable de la progéniture vers le mal. La faiblesse du film est que cette impossibilité de compréhension que le cinéma aurait pu prendre en charge n'a pas échappé à la tentation de l'analyse psychologique justement et, partant, à un recours aux procédés les plus conventionnels de la mise en scène. L'Autrichien Markus Schleinzer a lui aussi déplacé la question dans Michael , la caméra ne lachant pas le kidnappeur. Cette obstination de déplacer le point de vue traduit le désarroi de l'époque devant le problème. En disciple de Michael Haneke, Schleinzer a choisi la froideur du constat qui a congelé l'indicible jusqu'à dédouaner presque le coupable, devenu du coup l'instrument de la seule volonté du cinéaste.


Publié dans Attariq Aljadid du 11 juin 2011

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